Je me demande

Je me suis éclatée, ça fait drôle de voir ma petite sœur Julie avec un gros ventre. Cette baby shower était sublime. Je pense qu’avec Maman et les cousines, nous avons fait du beau travail. Mais l’heure est venue de partir. Nous avons tout bien rangé. Notre petite Julie peut maintenant s’allonger tranquillement et se reposer. La naissance est prévue dans un mois.

Silhouette d’une personne regardant par une fenêtre, plongée dans ses pensées, entourée de lumière douce et d’ombres discrètes.

« Au revoir Maman et Papa, je vous appelle quand je serai bien arrivée. » En embrassant Maman, je lui chuchote à l’oreille : « Je vais encore essayer ! » Maman éclate de rire et me répond : « On en rêve, mais tu n’y arriveras pas. Après tout, il ne reste qu’un mois à attendre. » Sur le pas de la porte, où Julie et moi nous trouvons, je pose mes deux mains sur son ventre, lui fais un gros bisou et dis naturellement : « Je le sens bien, il tape du pied, ce sera un vrai Ricardo ! » Julie éclate de rire, attrape mon visage, me regarde droit dans les yeux et dit : « Bel essai, mais la patience est primordiale.

On ne te dira rien. » Peter, mon beau-frère, arrive derrière, pose gentiment sa tête sur l’épaule de Julie, ses mains sur son ventre, et ajoute un grand sourire signifiant "Non".

Il est 22 h, je prends le volant. Je n’habite pas trop loin, à 45 minutes de route, mais une partie du trajet est très sinueuse. Dès qu’on aperçoit le phare Jules, la route devient plus facile. Mais ce soir, il fait vraiment noir et brumeux.

Je repense à Jean-Luc. Pendant près de cinq ans, c’était plutôt lui qui conduisait ce col de Hautbas. Nous nous sommes séparés il y a deux mois. C’est encore récent, mais je me sens bien. Ma famille me soutient. Et je persiste : ne jamais accepter un geste violent, même si l’on trouve des raisons qui semblent justifiables.

Je ne comprends toujours pas pourquoi il ne m’a pas crue, ce qui a renforcé ma décision de le quitter.

Justement, c’était un de ces jours où j'avais conduit seule, dans un brouillard épais. Julie venait de m’appeler, paniquée, car elle avait perdu un peu de sang. Son mari était en voyage d’affaires et elle ne voulait pas inquiéter Maman ou Papa.

Je me revois, l’écoutant au téléphone tout en enfilant ma veste, faisant des signes à Violette, ma patronne, pour lui faire comprendre que je devais partir, c’était urgent. J’ai conduit comme une folle. En arrivant chez Julie, je voyais bien qu’elle était inquiète. Nous sommes allées aux urgences. Par chance, c’était justement son gynécologue qui était de garde.

Après une petite échographie, le docteur a confirmé que tout allait bien. Parfois, quelques mois avant la naissance, cela pouvait arriver. Il lui a conseillé de se reposer et de rester allongée plus souvent que d’habitude. Nous sommes rentrées chez elle, je l’ai installée sur le canapé avec plein de petits coussins pour soutenir son ventre précieux. Je lui ai préparé une bonne soupe avec des ingrédients nourrissants, puis une citronnade au gingembre. Avant de partir, elle m’a dit avec un grand sourire : « Même si je dois me reposer et rester allongée plus longtemps, je ne te dirai pas si tu auras un neveu ou une nièce, madame Tata Anne. » Comme un gros bébé, je l’ai mise au lit.

Je reprends la route. Il est tard, brumeux, je me concentre. Ça y est, j’aperçois le phare, bientôt la partie la plus facile de la route. J’essaie d’appeler Jacques, pas de réponse. Bizarre à cette heure, mais pas grave.

J’arrive enfin chez nous. Mmm, étrange, il ne me dit rien, il semble de mauvaise humeur. Pas grave, je lui explique ce qu’il s’est passé. Et là, il commence à hurler et à m’accuser de mentir. Je ne réponds même pas, je vais directement dans notre chambre.

En sortant de la douche, il est là et me donne deux gifles, une sur chaque joue. Je reste silencieuse. J’étais épuisée par ma journée, inquiète pour la vie du bébé que ma sœur porte. Il sort de la chambre, sans précipitation mais sans remords. Après son départ, je verrouille la porte. Je me suis couchée, et un petit ange m’a aidée à oublier. Je me suis abandonnée au sommeil, un peu de méditation. Tout allait bien, sauf mes joues qui me faisaient mal. Je pense que c’était la première fois que je m’endormais assise dans mon lit.

Ces deux gifles ont été les premières de ma vie, j’ai 31 ans.

En repensant à tout cela, la route sinueuse du col de Hautbas me replonge dans ce passé. Mais soudain, je remarque une voiture derrière moi, assez loin. C’est étrange, il n’y a pas souvent de circulation sur cette vieille route entre le village de Chambli et la ville voisine, surtout à cette heure.

J’essaie d’accélérer un peu, mais c’est difficile, les virages sont serrés. Enfin, je vois la lumière du phare de Paul et de son fils Julien. Cela signifie que la route sera bientôt droite, et je pourrais peut-être m’arrêter au phare, l’un des deux sera sûrement réveillé.

J’adore ce phare, il est plein de souvenirs, d’histoires, de battements de cœur. Beaucoup de gens du village ou de la ville viennent les voir, apportent de petits plats. Moi, j’aime y jouer aux dominos ou à la belote.

Mince, ce véhicule se rapproche. J’accélère, tourne brusquement à droite, je quitte la voiture en courant. Je connais ce petit chemin entre les rochers, je pourrais courir plus vite sur la plage.

Je cours à toute vitesse. Je regarde mon téléphone, pas de réseau. Je jette un œil derrière moi, un homme me suit. Je frappe violemment à la porte du phare. Paul est là, il vient de finir les vérifications quotidiennes qu’ils doivent faire.

Il voit tout de suite que je ne vais pas bien, il referme la porte.

« Que t’arrive-t-il, Anne ? » me demande Paul.

Je n’ai pas le temps de répondre, quelqu’un frappe à la porte. Paul m’envoie vite dans la cuisine, me sert un café et va ouvrir.

Un homme géant se tient là, il doit se baisser pour passer la porte. Il tient une plaque d’immatriculation dans sa main. Paul le salue et lui demande ce qu’il veut. L’homme l’interrompt et commence à expliquer la raison de sa présence.

Il raconte que la voiture devant lui a perdu sa plaque d’immatriculation en roulant, ce qui a cassé son pare-brise. Il voulait la rendre à la personne et faire un constat d’assurance. Il a remarqué que la personne semblait avoir peur, alors il a ralenti.

Paul sourit. Je sors de la cuisine et nous voilà tous les trois à rire, car la situation est plutôt cocasse, un peu comme dans un film comique.

Paul prépare un bon café, et nous voilà à discuter et à rigoler jusqu’à deux heures du matin.

Alex, en présence de Paul, me demande si nous pouvons échanger nos contacts WhatsApp et peut-être rester en contact. J’hésite à dire oui. N’oublions pas que je suis écrivaine spécialisée sur les féminicides.

Le lendemain matin, je me réveille alors que le soleil commence seulement à se lever sur la mer, je me sens énergique. Hier, c’était vraiment sympa. Je suis tellement contente d'avoir vu toute la famille, on s’est raconté toutes nos histoires, et puis il y a eu Jean-Luc... Je prends une grande inspiration et me promets de ne plus laisser la peur contrôler ma vie.

Je me lève, me prépare un café et prends un moment pour réfléchir. Les souvenirs de mon ex commencent à s’estomper, et la douleur que j’avais ressentie fait place à un sentiment de liberté. Peut-être qu’un nouveau chapitre de ma vie s’ouvre enfin.

Je pense à mon travail, à mes articles sur la violence faite aux femmes, et à la manière dont je peux continuer à sensibiliser le public. Je me sens prête à m’investir encore plus dans mes projets.

La journée s’annonce radieuse, et je suis déterminée à la vivre pleinement, sans regret ni peur. En me regardant dans le miroir, je me dis : « C’est une nouvelle Anne qui se lève aujourd’hui. »

Je n'ai d’ailleurs jamais rappelé le fameux géant du phare, et lui non plus.

Presque six mois après, un jour simple et rare sans rendez-vous, je décide de me prélasser chez moi. La télévision est allumée, juste pour écouter un peu les nouvelles, que je suis généralement à la radio. Soudain, j'entends qu'il y a une urgence : un tueur en série recherché depuis trois ans vient enfin d'être capturé. Ils montrent l’homme. C’était le géant du phare. Je ne peux m'empêcher de rire et de pleurer, me sentant bénie et sauvée par mon instinct. Il aurait peut-être pu me tuer.

Tout va vite dans ma tête. J'appelle ma patronne et lui annonce que je connais cet homme, lui expliquant brièvement que je veux absolument être la journaliste en charge de ce sujet. Dans ma tête, tout tourne, je suis prête à ouvrir ce projet et à commencer un article qui fera sensation.

 

Véro Infini


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