Le sable crissait sous ses pieds. Ou sous sa peau. Ou peut-être était-ce dans sa tête. Elle ne savait plus.
Elle inspira. L’air avait un goût de sel et de rouille. Quelque chose d’étrange flottait dans l’atmosphère, une tension, comme si le monde entier retenait son souffle.

Autour d’elle, ses amis riaient. Ou du moins, ils en donnaient l’illusion. Leurs bouches s’ouvraient et se refermaient, leurs gorges vibraient, mais aucun son ne sortait. Pourtant, elle entendait leurs éclats, forts, trop forts, comme s’ils résonnaient dans un autre espace-temps.
Puis, l’arrêt.
Un silence si brutal qu’il semblait palpable.
Elle leva les yeux.
La vague était là.
Mais pas comme une vague. Plutôt comme un mur d’eau figé, massif, une masse sombre, attendant. Elle voulut bouger. Sa volonté courut à travers ses muscles, mais son corps lui répondit avec un temps de retard. Ses bras semblaient glisser hors d’elle-même, comme s’ils appartenaient déjà à quelqu’un d’autre.
Et soudain, l’eau l’engloutit d’un coup sec.
Pas de fracas. Pas de chute. Juste un renversement total de la réalité.
Elle se retrouva sous l’eau.
Elle ne se noyait pas.
Mais quelque chose clochait. Ses amis n’étaient plus là. À leur place, des formes lisses, furtives, passaient sous ses yeux. Des dauphins. Non. Ses amis. Leurs regards demeuraient humains, trop perçants, trop lucides.
Elle voulut parler. Sa voix se perdit dans un gargouillis d’eau salée.
— Où êtes-vous ?! aurait-elle hurlé, si elle avait eu une bouche capable de hurler.
Le plus grand dauphin s’approcha, ouvrant la gueule, mais le son émanait de nulle part :
— Nous sommes ici. Et toi, où es-tu ?
Elle croisa son regard. Son corps frémit. Ses mains tremblèrent, devinrent translucides, puis se lissèrent. Elle cligna des yeux, effarée par sa propre métamorphose.
— Il faut l’emmener, fit un autre dauphin.
— Où ? … pourquoi ?
Silence. Juste le clapotis étouffé des vagues.
— Elle doit être avec nous, reprit le grand dauphin.
Elle voulut protester, rassembler ses souvenirs comme on agrippe un radeau. Mais ils se dérobaient déjà. Ses parents, ses amis… sa sœur ?
Avait-elle une sœur ? L’image d’un visage souriant, flou, s’imposa. Des cheveux bruns ou blonds, elle ne savait plus. Oui, elle en était sûre : elle avait une sœur, un jour, avant… Non. Cette sœur n’avait jamais existé, c’était un mirage. Ou alors si ?
Un vertige lui broya l’esprit. Tout s’effaçait. Sa mémoire se réduisait à un puzzle dont les pièces se dissolvaient une à une. Elle voulut s’accrocher au souvenir, mais il lui glissa entre les doigts – doigts qui, à présent, n’existaient plus vraiment.
Ses amis-dauphins se rapprochèrent. Déjà, elle sentait son corps changer, ses jambes fusionner en une forme inconnue, sa peau se couvrir d’une texture lisse, étrangère. Sa tête tournait. Le temps s’éloignait.
— Non… murmura-t-elle sans qu’aucun son ne franchisse ses lèvres qui n’étaient plus des lèvres.
— Nous n’avons plus le choix, fit le plus grand dauphin.
Ils la poussèrent sans la toucher, comme si le simple fait d’exister l’entraînait dans leur sillage. Elle n’avait plus de force, plus d’arguments, plus de souvenirs à opposer.
L’horizon s’ouvrit. L’océan se referma derrière eux, comme une mâchoire colossale. L’air, le ciel, la plage… tout s’effaçait, se réduisant à un décor inutile dans un rêve qui n’était plus le sien.
Un chuchotement. Une voix profonde, sise au cœur des flots :
— Bienvenue à la maison.
Puis plus rien.
Plus jamais rien.
Exercise :
Le conseil de Kafka : "Je dois faire vite ! Car les rêves s'effacent aussi vite qu'ils se sont formés dans mon inconscient. Dans l'instant." Votre défi du jour : Choisissez un rêve récent qui vous a marqué. Sans tenter de le rendre logique, décrivez : • Les images qui persistent • Les sensations ressenties • L'atmosphère générale • Transformez ces éléments en une scène où le rêve et la réalité se confondent. Pourquoi les rêves ? Kafka nous enseigne que les rêves sont une matière première essentielle pour l'écriture. Il faut les saisir avant qu'ils ne s'évaporent, sans chercher à les rendre logiques.
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