Jane avait aimé avec toute l’intensité de ses certitudes. Cet homme, de vingt ans son aîné, était l’évidence même. Ils partageaient un idéal rare : un amour absolu, libéré des contraintes d’une famille traditionnelle. Pour elle, les couples sans enfants avaient quelque chose de magique—un amour qui ne se dispersait pas, qui restait entier, vibrant, indéfectible.

Lui aussi y croyait. Ou du moins, c’est ce qu’il disait. Acteur à Los Angeles, il vivait dans l’attente d’un coup de fil, celui qui changerait sa vie, celui qui le propulserait au sommet. Mais à chaque audition manquée, à chaque rôle attribué à un autre, l’amertume grandissait. Un problème de ressemblance, disaient-ils. Trop proche d’Harrison Ford pour être un inconnu, trop peu célèbre pour être une star.
Et puis, il y avait cet autre fardeau, plus lourd encore : sa richesse. Né dans l’opulence, il portait son héritage comme une honte, comme un obstacle à ses ambitions. Pourquoi lutter quand on n’a pas besoin de travailler ? Pourquoi se battre quand tout est déjà acquis ?
Jane le comprenait. Elle l’aimait, et elle acceptait ses tempêtes intérieures. Ensemble, ils rêvaient, ils écrivaient, ils réinventaient sans cesse leur avenir. Mais un jour, le rêve s’effrita.
Il commença à douter. Pas seulement de son métier d’acteur, mais de tout ce qu’il était, tout ce qu’il croyait être. L’âge, l’échec, la lassitude, tout s’empilait en lui comme des pierres qu’il n’avait jamais voulu porter.
Il voyait Jane bâtir leur histoire avec une certitude déconcertante. Pour elle, ils étaient solides, unis, inébranlables. Leur amour était une maison en pierre, résistante à toutes les tempêtes.
Lui, il était le loup. Et il fit ce que font les loups. Il souffla.
Il chercha les failles. Il posa des questions venimeuses, insinua des doutes.
« Tu es sûre de ne jamais vouloir d’enfants ? Et si un jour tu changes d’avis ? »
Mais Jane ne vacillait pas.
Alors il souffla plus fort.
Il laissa traîner des silences trop longs. Il jetait des regards ailleurs, comme s’il cherchait une issue, une excuse. Il espérait qu’elle le repousserait, qu’elle lui offrirait enfin la porte de sortie dont il avait besoin. Mais elle restait là, confiante, souriante, inébranlable.
La maison ne s’écroulait pas.
C’est là qu’il comprit.
Il n’avait jamais été le bâtisseur de cette histoire. Il avait toujours été l’intrus. Un loup venu tester la solidité d’un rêve qui n’était pas le sien. Et puisque rien ne cédait sous son souffle, il ne lui restait plus qu’une solution : fuir.
Alors il prit sa décision. Brutale. Radicalement égoïste.
Mais au dernier moment, un doute l’assaillit.
Dans l’aéroport, juste avant de partir, il se tourna vers Jane. Elle le regardait, un sourire léger aux lèvres, confiante, aimante. Si belle. Si sûre.
Une seconde.
Il hésita.
Un battement de cœur.
Il eut l’envie folle de lâcher son billet, de revenir vers elle, de dire « J’ai peur, Jane. Mais je t’aime. Dis-moi que je peux rester. »
Elle ne disait rien. Elle attendait, simplement.
L’espace d’un instant, tout sembla suspendu. Il aurait suffi d’un pas vers elle. D’un regard en plus. D’une main qui cherche la sienne.
Mais la peur fut plus forte.
Son visage se ferma. Il ravala l’émotion qui menaçait de l’envahir, se détourna et murmura les mots qu’il s’était imposés :
« On ne se reverra plus. »
Il ouvrit la porte de la voiture et laissa les clés sur le siège.
Jane ne réagit pas tout de suite. Tout était trop brutal, trop absurde. Ce n’est que lorsqu’il disparut dans la foule qu’elle sentit son cœur exploser. Les larmes montèrent, mais elle les ravala. Elle comprit, enfin.
Il n’avait pas pu souffler la maison en pierre. Alors il avait fui.
Les années passèrent. La douleur s’émoussa, remplacée par une douce ironie. Un jour, elle rencontra un homme. Un homme qui, comme elle, ne voulait pas d’enfants. Trois semaines plus tard, elle tomba enceinte.
Quand elle donna naissance à une petite fille d’une beauté éclatante, elle rit. Tout le monde s’extasiait devant l’enfant, captivé par son regard perçant, par ses expressions pleines de vie.
Jane souriait maintenant à son passé. Finalement, elle avait gagné au change.
Cet exercice, proposé par Douglas Kennedy en collaboration avec The Artist Academy
Utiliser ses blessures
Créez un personnage dont le rapport à l'amour est façonné par une blessure passée, en détaillant comment cette expérience influence ses choix et comportements actuels.
Les objectifs de ce défi :
• Transformer son vécu en matière littéraire
• Explorer ses failles pour enrichir ses personnages
• Utiliser ses expériences douloureuses
• Créer de la profondeur émotionnelle
• Développer l'authenticité de ses personnages
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